Manœuvre et réglage d'une voile au tiers      
                           
  Ici sur une embarcation traditionnelle des ostréiculteurs du Bassin d'Arcachon, la pinassotte.

La voile au tiers se retrouve sur de nombreux bateaux de travail, bisquines, chaloupes, lougres, etc... Ce gréement puissant se situe historiquement entre les barques à voiles carrées et les "modernes" gréements à cornes. Son point de drisse vient au tiers de la vergue, d'où son nom. Je vous présente ci-dessous les subtilités de ce gréement simple, mais dont l'efficacité a toujours de quoi nous surprendre.
 
                           
  La voile au tiers à gambeyer
La voile au tiers est portée par une vergue dans sa partie haute. Cet espar est lui-même tenu par un point fixe, situé environ à 1/3 de l'avant, et hissé par le rocambeau sur le mât. Le mât, sans haubans, est tenu par la drisse mise du côté au vent.

*gambeyer consiste à faire passer la vergue " à la bonne main", de l'autre côté du mât.
 
                           
  Lignes d'efforts de la voile
Le tissu est formé de fils qui s'entrecroisent. Les méthodes de tissage de nos tissus actuels les rendent plus performants dans la trame (largeur du tissu).
On nomme certains d'entre eux : Équilibrés.
Dans le cas d'une voile au tiers, les lignes d'efforts les plus grandes sont dans la chute et les 4 points radiants. Si nous plaçons des laizes verticales comme cela se faisait avec les voiles coton, c'est la chaîne et le biais qui sont le plus sollicités. Le choix d'un tissu équilibré est souhaité, mais du fait de sa difficulté à l'obtenir dans les gros grammages, on peut préférer une coupe horizontale, certes moins traditionnelle.
 
                           
 
Le cintre longitudinal "tire le tissu" vers le point de déformation de l'espar. Le profil de la voile se déforme en "S" (2). Le guidant et la chute sont détendus, ils tombent sous le vent. Cette déformation n'est pas souhaitable, mais quelquefois inévitable. On peut y remédier en préférant les garcettes individuelles, ajustées en conséquence. Ainsi, le rond de vergue, insuffisant, et son cintre, trop important, s'harmoniseront (3).
           
La position de l'ancrage, sur la vergue, est très importante. La généralité, c'est le 1/3 avant. L'expérience nous dit que l'apiquage maximum est bon pour le près, mais peu s'avérer un handicap majeur au portant, du fait de son instabilité.
  L'apiquage recule la voilure, donne de l'allongement, présente le guidant avec un angle d'incidence plus fin au vent. Cela donne aussi une voile plus vrillée, hélicoïdale, en gardant un soutien de chute ; des facteurs intéressants au près. Bien sûr, c'est la forme de la carène et ses aptitudes à remonter le vent, qui nous pousseront à adapter l'apiquage qui convient.  
                 
                 
Le mât
Il sera bien sûr en bois et de bonne qualité : il importe qu'il soit léger et raide. On obtient de très bons résultats avec les mâts creux de Marc à Gujan-Mestras. Mais le meilleur mât, mal utilisé, ne pourra pas faire de miracles.
C'est une question d'équilibre. Dans le cas de la drisse fixée au vent, trop d'angle le fait cintrer "en banane". Le pire, ce sont les coups qu'il reçoit par l'élasticité de l'ensemble, ajoutés à une force de rotation.
   
                   
La drisse la moins élastique possible est souhaitable. On fixe un tolet (tige de bois de 15 cm de long ~), par des demi-clefs, au niveau du rocambeau (cercle équipé d'un crochet pour hisser la vergue). La voile est hissée en laissant choquer les autres points. Le tolet vient en butée contre le réa du mât, c'est un bon "truc" pour étarquer à fond la drisse. Puis on tend dans l'ordre l'amure puis l'écoute. Établie de cette manière, la drisse maintient bien le mât.
On prendra soin de bien diriger la sortie du réa, dans le même plan que le point d'ancrage de la drisse, pour éviter l'effet pervers des forces de rotation sur le mât.
Ce fier espar peut déverser sous le vent, ce qui n'est pas souhaitable. Ce dévers amène la vergue en rotation, la détend et abaisse le point de drisse. Cette rotation s'oriente vers le vent, diminuant l'angle d'incidence. Les flux d'air tangents viennent aussitôt sur l'extrados (partie extérieure et convexe de la voile), donnant plus de traînée et moins de portance. Sur les pinassotes d'Arcachon, le mât est incliné au vent par un astucieux système de pied, doté d'une pointe métallique, permettant de modifier l'inclinaison en le faisant pivoter.
 

Conception: voile creuse ou plate, angle d'incidence ?
a) Le profil ayant son creux au milieu, a le meilleur rapport portance/traînée. Son angle d'attaque (d'incidence) faible est plus performant avec un vent stable.
b) Le profil a le même creux, sa tangente d'attaque est plus importante. Cela donnera un angle de remontée au vent plus faible, mais plus de tolérance au flux d'air instable.
c) Le profil avec creux plus important, est plus puissant, mais sa capacité à remonter au vent est plus faible. Son choix se fera en fonction de la carène. Pour la voile au tiers seule, l'importance du creux prédomine sur son emplacement. Une voile fine permet de serrer le vent avec moins de traînée, elle est mieux adaptée aux carènes longues et étroites.

Plus l'angle d'incidence voile/vent est faible, meilleure est la sensation de cap, au détriment de la puissance.
Plus le décalage entre le profil haut et le profil bas est important, plus la voile est vrillée et perd de sa puissance dans les hauts.

 
Au près
La voile, correctement hissée et étarquée, tend la chute et la bordure au point de tire unique, le point d'écoute. Le point d'amure et le point de drisse dépendent de cela. Ce dernier matérialisé par une estrope sur la vergue, se trouve en général légèrement en arrière du tiers vrai. Une deuxième estrope, placée à 10 cm de la première, permettra un deuxième réglage pour apiquer plus ou moins la vergue.
Le barreur sentira si la bateau est bien équilibré, trop ardent ou trop mou, s'il marche aussi bien que le voisin en vitesse et cap. Une voile bien établie permet au bateau de marcher au près sans donner d'angle et d'efforts à la barre. Lorsqu'il y a excès de puissance, on la soulage en relevant un peu de dérive. L'assiette du bateau doit être conservée à plat par rappel ou une prise de ris, si on est encore en excès de puissance.
   
         
                         
Au portant
Ne jamais oublier qu'au portant tout excès est préjudiciable. Cette voilure n'est pas très stable à cette allure, elle a tendance à fermer, ballotter, et nuire à l'équilibre. La performance se perd dans le désordre. La voile devient moins contrôlable, car l'écoute prend le même chemin qu'au près et la chute est trop ouverte.
Pour obtenir une sorte de barber, il suffira de passer l'écoute plus en avant par un tolet.
Le tangon de nos pinassotes d'Arcachon est souvent un mât de planche à voile, dont une extrémité est pourvue d'une fourche de bois ou d'une dame de nage, suivant l'inspiration. Cet espar, un peu moins traditionnel, est devenu tellement performant par sa légèreté qu'on lui pardonne sa composition.
Au portant, une légère contre-gîte stabilise le bateau, car le centre de voilure se trouve plus proche du centre de gravité. Comme en dériveur, on se reculera dans la brise pour soulager l'étrave et on relèvera la dérive.
         
   
                   

Nous vous invitons à retrouver les plaisirs de ce gréement généreux et toujours d'actualité.

    Chantal

article paru dans "Bateaux Bois Magazine" Janvier 99